La domination adulte : cause principale de la violence éducative ordinaire ?
La domination adulte systémique :
cause principale de la violence éducative ordinaire ?
La déclaration de philosophie de l’OVEO(https://www.oveo.org/) attire l’attention sur le caractère systémique de la violence éducative ordinaire, mettant en avant le fait qu’elle doit « avant tout » être comprise comme la volonté de l’adulte de contrôler l’enfant, même sous couvert de bonnes intentions. » « Il s’agit bien d’une violence systémique, relevant d’une logique de domination des adultes vis-à-vis des enfants. Ce schéma de pensée influence notre rapport au monde, notre rapport aux autres, notre rapport à nous-même, entretenant les mécanismes de la violence. »
Pour notre part, nous pensons que la production et la reproduction de la violence éducative ordinaire obéit aussi à des phénomènes d’ordre émotionnel et psychique, indépendamment du type d’organisation sociale dans laquelle elle se produit. Nous pensons particulièrement au phénomène du déni, qui permet pendant l’enfance de se protéger d’une image parentale effrayante mais qui empêche ensuite à l’âge adulte, toute prise de conscience de la violence, qu’elle soit sociale, politique, ou éducative.
Le système de domination apparait alors comme un environnement social qui favorise l'émergence et la reproduction du processus de la violence éducative ordinaire.
L’acceptation massive de la domination de l’adulte sur l’enfant représente un des éléments du système de domination plus général de la société actuelle. Il justifie le fait de ne pas s’interroger sur sa légitimité et contribue au maintien de cette logique de domination de l’adulte sur les enfants. Et bien sur il empêche de remettre en cause les rapports de force qui régissent globalement les règles sociales. Mais supprimer ces mécanismes de dominationpermettra t-il d’éradiquer la production et la reproduction de la violence éducative ordinaire ?
Nous observons que dans un contexte régi par des rapports de pouvoir, ce qui est le cas de nombreux pays dont la France, il se trouve des espaces, familiaux, éducatifs, culturels où ce système de domination et notamment de pratique de la violence éducative n’ont pas leur place : familles attachées au respect des besoins de l’enfant, écoles alternatives, pédagogies orientées vers les besoins et centres d’intérêt des enfants. Et si l’on y regarde de plus près, il apparait que des facteurs spécifiques interviennent, qui expliquent l’existence de modes relationnels respectueux des besoins de l’enfant et attentifs à lui permettre d’exprimer et déployer sa pleine personnalité. C’est selon nous, dans l’histoire et le cheminement personnels de chacun (ne) que l’on trouve des éléments de réponse, sans oublier la réalité du contexte politique et social.
Le rôle déterminant
d’une éducation respectueuse
Sous l’occupation nazie, dans un contexte dominé par la peur, la soumission à l’autorité, la répression et la valorisation de la violence, il s’est trouvé des hommes et des femmes qui ont refusé de s’adapter et d’obéir à ce système. Certes, ils avaient peur, ils redoutaient d’être dénoncés, mais une force en eux était plus importante. Et ils ont dit qu’ils n’auraient pas pu faire autrement que de rester fidèle à eux-mêmes. Ils n’avaient pour ainsi dire pas d’autres solutions, s’ils ne voulaient pas se perdre en tant qu’individu.
Ils ne prétendent pas avoir agi de manière exceptionnelle mais être restés dans une simple "présence à soi" qui leur a permis d'éprouver de la compassion pour celles et ceux qu'ils ont sauvés, mais aussi d'agir intelligemment et efficacement.
Deux chercheurs américains ont étudié la biographie de plus de 400 de ces « justes ». Les résultats des entretiens retiennent de façon constante plusieurs éléments :
- L’absence de répression dans les pratiques éducatives.
- Le fait qu’ils avaient reçue une éducation non-autoritaire.
- Une grande liberté d’action et de choix laissée dans l’enfance.
- Un fort sentiment d’empathie.
- La qualité de l’affection qui liait les parents à leurs enfants.
Ils pouvaient ainsi faire des choix qui n’étaient pas liés à l’approbation des adultes mais qui étaient le résultat de choix personnels.
L’élément décisif dans la construction de la personnalité de ces « Justes » se trouve dans la qualité de l’accompagnement qu’ils ont reçu dans leur enfance.
Au delà du type d’organisation sociale dans lequel ils ont du évoluer dans une période, sans aucun doute peu respectueuse des besoins des enfants, il sont pu développer une personnalité empathique et conserver une forte présence à soi. ( cf : Michel Terestchenko Banalité du bien, banalité du mal » Un si fragile vernis d’humanité éditions la découverte poche)
Alice Miller écrit que ces personnes ont eu la chance dans leur enfance d'être assurés de l'amour de leurs parents, même s'ils devaient opposer un « non » à leurs exigences.
Ils prenaient le risque de la perte d'amour pour rester fidèle à leur soi. Et à aucun prix, ils ne seraient prêts à y renoncer par la suite. ( C’est pour ton bien p 105)
La destruction du vivant
par l’éducation
Au travers des personnalités de responsables nazis tels qu’Himmler, Eichman et Rudolf Höss, Alice Miller montre combien leur éducation a détruit en eux tout sentiment, toute empathie et que l’obéissance aux ordres ne peut être l’explication première du système nazi et de sa reproduction.
Ils ont d’abord été des enfants dont on a exigé une soumission absolue à l’autorité des adultes et n’ont pu développer en eux que cette unique aptitude. Et dans l’incapacité de vivre de manière autonome, ils se sont engagés dans l’armée pour pouvoir continuer à vivre comme on leur avait appris, c’est à dire obéir aux ordres. (cf p 91, C’est pour ton bien extrait du discours de R Hess.)
Ces hommes et ces femmes ont exécuté les ordres qui leur étaient donnés non pas parce qu’ils les trouvaient justes mais parce que c’était des ordres, écrit Alice Miller.
Ils étaient habitués à obéir, mais ils étaient aussi des hommes et des femmes qui ne pouvaient pas être arrêtés par leurs propres sentiments. Ils avaient été éduqués dès le berceau à ne pas ressentir leurs propres émotions mais à vivre les désirs de leurs parents comme les leur propre. ( Alice Miller Libres de savoir p 8)
Enfants ils avaient été fiers d'être durs, de ne pas pleurer, de ne pas avoir peur. Dans le fond : de ne pas avoir de vie intérieure. ( p 101 C’est pour ton bien)
La répression accumulée et répétée du caractère infantile a exterminé tout ce qui pouvait relever du vivant, de la spontanéité, de la joie, et de la liberté d’expression émotionnelle.
Alice Miller nous dit que l’être qui a appris dès l’enfance à appliquer la loi du foyer parental comme une nécessité vitale et à renoncer à ses propres sentiments est tout à fait mis en condition pour obéir aux lois. Et à moins de rencontrer un autre qui pourra lui prêter assistance, lui offrir un appui, un contre poids à la cruauté qui imprègne sa vie quotidienne, il ne pourra accéder à aucune ressource en lui pour se protéger et résister à ces lois.
Idéalisation des parents et
déni de la réalité de l’enfance
Les êtres qui ont été éduqués suivant les préceptes de la pédagogie noire, s’approprient ceux-ci et s’identifient aux comportements violents de leurs éducateurs. Mais comme tout être humain, ils ne peuvent vivre sans sentiment, ils se rallient à des groupes par lesquels les sentiments et émotions qui leur ont été interdits jusqu’alors sont admis voire encouragés et pourront enfin être vécus au sein d’un collectif. L’idéologie du nazisme a offert cette possibilité de décharge collective des affects accumulés, avec en même temps la possibilité d’une idéalisation des parents maltraitants.
Le membre du parti va pouvoir déplacer son attachement vers les nouveaux personnages de chef du parti voire au groupe tout entier. Et l’enfant méprisé, humilié et faible en soi, qui n’a pas eu le droit d’exister réellement peut à nouveau être méprisé et combattu au travers de ce qui est extérieur au groupe, étranger au groupe, notamment les juifs.
Pour Alice Miller, les hommes et les femmes qui ont subi ce traitement pendant toute leur enfance ont pu sans réellement se questionner, conduire à la chambre à gaz des centaines de milliers d’enfants qui étaient porteurs de ces parts de leur propre psychisme qui avait été détruit et qu’ils redoutaient. (C’est pour ton bien p 107)
« C’était pour eux un exutoire à leur haine de la petite enfance, ils ont reproduit de la même manière l’atrocité commise sur eux, le meurtre de l’âme perpétré sur les enfants qu’ils avaient été. Ils ne faisaient que reproduire inlassablement le meurtre de leur propre enfance. »
Le processus de production et de reproduction de la violence sur lequel insiste Alice Miller se déroule à l’intérieur du cercle familial. Le premier espace que l’enfant sera amené à fréquenter va être déterminant dans ce qui va pouvoir être encouragé ou bien écrasé dans le développement de sa personnalité.
Elle insiste sur les dangers de toute éducation du fait que très souvent les parents ont conservé une idéalisation de leur enfance et du comportement de leurs parents. (p 117)
Et c’est cette idéalisation qui les conduit lorsqu’ils deviennent parents, à reproduire la violence dont ils ont été l’objet sans pouvoir ressentir la souffrance que cela génère. Tous les affects et les besoins qui ont été refoulés lorsqu’ils étaient enfants, vont se reporter sur leurs enfants, la colère, la déception, les attentes, le besoin d’être respecté, écouté …
Ils vont adopter les modes de résolution des conflits qu’ils ont appris et reproduire la violence qu’ils ont subie. Et ils vont légitimer et participer à la mise en oeuvre de règles sociales et politiques qui perpétuent des rapports humains basés sur la domination et le rapport de force. C’est leur histoire tragique et leur cécité émotionnelle, qui les fera choisir des dirigeants assoiffés de pouvoir ou même voire des dangereux dictateurs. Un petit nombre de gens qui n’ont pas été maltraités ou qui ont rencontré des témoins secourables, feront preuve de clairvoyance.
Il y a à la fois la structure politique et sociale qui impose des rapports sociaux de domination, notamment par l'âge et la reproduction par certains(nes) de relations violentes subies dans leur enfance. Les deux systèmes sont intriquées, on ne peut ni les séparer, ni les hiérarchiser.
Le 9 juin 2021
(revu le 05/10/22)
Jean Pierre Thielland